La Revue pour l'enseignement et l'apprentissage des langues

Editorial

En ces temps d’incertitude, ce numéro de Babylonia est en quelque sorte une provocation, à contre-courant du pragmatisme ambiant. Il fait en effet le pari de la complexité, de la réflexion, du doute, en présentant aux lecteurs une diversité d’approches théoriques de l’enseignement et de l’apprentissage et en les invitant à réfléchir à l’apport possible de ces théories à leur pratique quotidienne.
L’incertitude et la complexité font aujourd’hui partie de nos sociétés et de notre quotidien: accélération des cycles économiques, menaces sur l’emploi, risques de conflits, “progrès” technologiques de plus en plus rapides, souvent incompréhensibles voire inquiétants...
L’école est également touchée par cette sorte d’accélération du temps. Là aussi, plus rien n’est certain, tout se complexifie: changements structurels, hétérogénéité culturelle et linguistique croissante, remise en question des services publics... Les enseignants, toutefois, paraissent encore relativement préservés de toutes ces turbulences qui n’atteignent les classes qu’indirectement, comme des effets “collatéraux”.
Mais il est d’autres formes encore d’incertitude et de complexité qui, elles, ne peuvent manquer de les interroger: celles liées à l’exercice de leur métier et aux changements incessants de méthodes et des théories qui les fondent. Il suffit ici de mentionner pêle-mêle quelques-unes des “modes” qu’un enseignant ordinaire aura traversées durant les dernières décennies (après avoir lui-même été imprégné de grammaire et de traduction durant sa scolarité): méthodes audio-orales, communicatives, “post-communicatives” avec leur accent porté dès les années 90 sur les stratégies des apprenants et leur autonomie, etc.
Comment les enseignants vivent-ils cette succession de méthodes? Apparemment pas trop bien pour nombre d’entre eux à voir le scepticisme croissant qu’on observe envers les changements et les théories qui les soustendent... Le fossé entre théorie et pratique parait aujourd’hui plus grand que jamais: les théories évoluent, se multiplient, mais les enseignants ne les connaissent plus, ne s’y intéressent plus, quand ils ne les refusent pas, tout simplement... Ils y voient au mieux des affaires de chercheurs, coupés du terrain, et non des outils qui pourraient leur servir.
Et c’est dans ce contexte de doute, d’incertitude, de complexité, que nous avons choisi de réaffirmer la nécessité des théories – et même de la diversité des théories. Il s’agit cependant d’être clair: nous ne pensons en aucune façon que les pratiques enseignantes doivent être une application de quelque théorie que ce soit! Pour le praticien, les théories sont plutôt des “outils” pour penser ses pratiques et se situer, des “balises” pour en comprendre et orienter l’évolution.
Afin de traiter ces questions sous une forme que nous espérons intéressante et utile pour les lecteurs, nous avons chargé quelques chercheurs reconnus de présenter les principales orientations théoriques actuelles (cognitivisme, constructivisme, etc.). Ensuite nous avons soumis leurs textes à des enseignants en leur demandant de les aborder de manière critique, de les mettre à l’épreuve de leurs exigences pratiques.
Nous espérons ainsi offrir une contribution originale à une “réhabilitation” des théories, non pas pour supprimer l’incertitude en suscitant de nouveaux dogmes, encore moins pour nier la complexité, mais pour fournir aux enseignants ces outils et balises qui nous paraissent à même d’enrichir leur rapport à leurs pratiques.

La rédaction